Par Todd Mattina, Ph. D, économiste en chef et stratège, équipe de répartition de l’actif Mackenzie
Les électeurs ont envoyé aux créanciers officiels de la Grèce un retentissant « Non » lors du referendum de dimanche leur demandant la poursuite de l’austérité budgétaire en échange d’un soutien financier. Mais l’avenir de la Grèce est loin d’être résolu, car le gouvernement et le système bancaire national ont toujours besoin d’un financement d’urgence. La porte est ainsi ouverte à un éventuel défaut du gouvernement et un effondrement du secteur bancaire national.
L’incertitude accrue consécutive au referendum a poussé les marchés, d’après les premières opérations de négociation, à liquider l’euro contre le dollar américain parallèlement au déclin des actions européennes et mondiales; mais les bons du Trésor américain et les obligations d’États allemands se sont redressés à la suite de leur mouvement vers des valeurs sûres. La réponse que donneront des dirigeants européens et des institutions comme le FMI au cours des prochains jours aura probablement des répercussions importantes sur le dénouement de la crise grecque et la réaction des marchés mondiaux.
Bien qu’une sortie grecque (le « Grexit ») de la zone euro semble probable à ce stade, d’autres options préférables demeurent envisageables si toutes les parties se montraient prêtes à faire des concessions politiquement difficiles. Pour la Grèce, un arrangement allant dans ce sens impliquerait un allègement consenti par ses créanciers du fardeau de sa dette déjà insoutenable, de l’argent frais de la part des créanciers pour financer les banques et le gouvernement grecs, et un accord signé par la Grèce sur des réformes propices à la croissance pour atténuer l’impact de l’austérité budgétaire.
L’allègement de la dette serait la composante essentielle d’une solution crédible et durable, comme il est souligné dans un rapport du FMI la semaine dernière. Toutefois, de nombreux créanciers luttent contre l’allègement de la dette, et le gouvernement grec rechigne à mettre en oeuvre d’importantes mesures de réformes favorables à la croissance.
En conséquence, les chances penchent davantage en faveur d’un défaut de remboursement des dettes, d’un contrôle de capitaux plus rigoureux, d’une instauration d’une monnaie parallèle et ultimement d’un éventuel Grexit.
Le financement des banques grecques demeure une priorité absolue
Le referendum n’a pas changé le problème immédiat, soit le financement d’ici quelques jours du système bancaire soumis à une crise de liquidités.
Un manque prolongé de liquidités bancaires aggravera le ralentissement économique, car les sociétés auront du mal à payer des salaires, à importer des biens essentiels et à payer des impôts. Une stabilisation des banques accordera aussi aux partis assez de temps à des fins de négociation d’une solution à long terme de la crise.
Les banques grecques deviendraient insolvables si le gouvernement se trouvait en état de défaut sur ses obligations. Parallèlement à l’inquiétude des déposants quant à la solvabilité des banques, les retraits des liquidités s’accélèrent malgré la mise en oeuvre des contrôles de capitaux la semaine dernière. En absence d’une augmentation du soutien financier d’urgence par la BCE, les banques grecques pourraient manquer de liquidités d’ici quelques jours.
De l’argent frais provenant de la BCE serait une bouée de sauvetage aux banques grecques et accorderait du temps au gouvernement et à ses créanciers de reprendre les négociations. Cependant, la BCE a plafonné le soutien d’urgence la semaine dernière parce que ses règles ne lui permettent pas d’accorder un financement d’urgence aux banques dont l’insolvabilité semble probable. Une augmentation accrue du soutien financier d’urgence est très incertaine à la suite du vote négatif, puisque les chances de conclusion d’un nouvel accord de financement avec les créanciers ont probablement diminué.
Il est probable que la BCE aura besoin de signaux positifs de la part des dirigeants allemands et français signifiant qu’il est justifié d’octroyer un financement d’urgence aux banques grecques. Dans ce contexte, un message crucial est attendu des autorités européennes à la suite de leurs réunions au sommet prévues lundi et mardi.
Sans prêteur au système bancaire en dernier ressort, le gouvernement hellénique serait tenu d’émettre des reconnaissances de dette pouvant servir à rembourser ses dettes fiscales. Ces demandes de paiement pourraient circuler en Grèce comme une monnaie parallèle à l’euro, fournissant de liquidités à l’économie.
Cette solution a fait l’objet d’un essai dans d’autres pays en situation de crise, comme l’Argentine en 2001, mais ce n’est toutefois pas une mesure durable. Une monnaie parallèle pourrait ainsi servir de point de départ d’une sortie de la zone euro, car les reconnaissances de dette pourraient ultimement être converties en nouvelles drachmes
Nouvelle source de financement, allégement de la dette et réformes favorables à la croissance.
Pour éviter la sortie de la Grèce, des compromis difficiles sur le plan politique devront être faits par toutes les parties. Une solution crédible et durable nécessite l’octroi à la Grèce d’un financement à des conditions très favorables, une restructuration de la dette existante et des réformes structurelles pour stimuler la croissance économique.
Le FMI a appelé à un allégement de la dette de la part des créanciers publics afin d’alléger le fardeau de la dette. Il estime qu’un nouveau financement d’au moins 50 milliards d’euros de 2015 à 2018 et une décote de la dette publique grecque de 30 % du PIB seront nécessaires. Un accord de cet ordre assurerait la viabilité de la dette du pays et pourrait inciter la BCE à fournir un soutien de trésorerie aux banques grecques.
Cette entente obligerait l’Europe à consentir à un allègement de la dette. Les créanciers publics européens ont hésité à consentir un allégement de la dette en raison des répercussions politiques pour le reste de l’Europe.
Les partis anti-austérité dans d’autres pays très endettés comme l’Espagne et l’Italie pourraient obtenir l’appui populaire et ainsi nuire aux efforts des gouvernements en place de réduire les dettes publiques au moyen de compressions budgétaires tel que stipulé dans les règles budgétaires européennes existantes.
La Grèce devra également faire des concessions en approuvant d’importantes réformes visant à soutenir la croissance, telles qu’une simplification du système fiscal, des pensions viables, une libéralisation des marchés du travail et des biens et un accroissement de la privatisation.
Étant donné les résultats du référendum, il serait difficile pour le gouvernement d’accepter de faire ces concessions.
En l’absence d’un accord visant à débloquer des fonds et à alléger la dette, la Grèce pourrait décider de faire défaut unilatéralement sur sa dette. Les gouvernements européens, les institutions et la BCE détiennent une grande portion des 315 milliards d’euros de dette grecque, exposant les contribuables à d’importantes pertes si une défaillance survient. Bien que la dette puisse devenir plus soutenable après un défaut, le système bancaire deviendrait insolvable et l’accès au financement de la BCE serait suspendu.
Comme l’indique le scénario ci-dessus, la Grèce pourrait demeurer dans la zone euro en mettant en circulation une monnaie unique, en renforçant les contrôles de capitaux et en imposant les dépôts bancaires au-delà d’un certain seuil et d’utiliser le produit pour recapitaliser le système bancaire. Puisque ces mesures entraineraient d’importantes distorsions économiques et laisseraient la Grèce dans l’incertitude, il se peut que le gouvernement opte simplement pour le « Grexit » et adopte une drachme indépendante.
La contagion de la crise de la dette grecque et les répercussions éventuelles sur les marchés.
La contagion de la crise de la dette grecque pourrait se faire de différentes façons, y compris en nuisant aux institutions financières qui ont une forte exposition résiduelle à la Grèce, en créant du stress lié au marché obligataire pour d’autres emprunteurs souverains endettés et des changements politiques.
La plupart des institutions financières privées ont toutefois réduit leur exposition directe à la Grèce depuis la crise de 2010 et la dette grecque est maintenant détenue en grande partie par des créanciers privés. Les outils de gestion de la BCE, y compris le programme d’assouplissement quantitatif et les opérations fermes, pour gérer le stress éventuel du marché sur les marchés des obligations souveraines.
Des facteurs politiques restent la principale source de contagion alors que les concessions à la Grèce pourraient encourager les partis anti-austérité ailleurs dans la zone euro, sapant les efforts visant à réduire graduellement le lourd fardeau de la dette européenne au moyen d’un resserrement budgétaire constant.
Étant donné l’incertitude et l’évolution rapide de la situation, les marchés européens continueront probablement à réagir aux nouvelles comme ils l’ont fait ces dernières semaines. La performance boursière à court terme sera probablement différente de celle à long terme.
À court terme, les événements qui ont poussé la Grèce vers la sortie favoriseront probablement la dépréciation de l’euro par rapport au dollar américain, abaisseront les marchés boursiers mondiaux et creuseront les écarts souverains.
Mais si la contagion économique et financière de la crise demeure limitée, la réponse à long terme pourrait être plus favorable, particulièrement si l’Europe se sert de la crise pour imposer des réformes fournissant à la Grèce une dette plus viable et créant un ensemble de politiques gouvernementales plus durables dans la zone euro.
En conséquence, les investisseurs peuvent alors s’attendre à une passe difficile à court terme, mais aussi à une performance plus solide à long terme, car un terme serait alors mis à l’incertitude relative au Grexit.